
Conseils pour concevoir soi-même son jardin 2 : dessiner, modeler.
Le dessin d’un projet suit une méthodologie assez spécifique. Certaines disciplines créatives – stylisme, design d’objet, design graphique – s’appuient sur l’esquisse d’un grand nombre d’hypothèses, parmi lesquelles on fait ensuite un choix. On ne procède pas du tout ainsi pour le dessin d’espaces.
La méthode de projet paysager consiste à déterminer d’abord des grands principes autour desquels projeteur et commanditaire se mettent d’accord, puis de préciser progressivement les détails de ce projet.
Par analogie, ce serait comme Magellan partant pour faire le tour du Monde : au départ il connaissait juste un cap. Progressivement, en fonction des courants et des côtes rencontrées, il a fait des adaptations et évité les récifs sans perdre de vue son objectif principal.
Le travail va donc consister à : dessiner, évaluer, redessiner, évaluer différemment, redessiner, faire entrer d’autres critères en compte, redessiner, dessiner à une autre échelle, etc. Oui, c’est pas aussi sexy que le mec à la télé qui se balade dans le jardin, et décide au fur et à mesure sa « Vision ». C’est laborieux. Avec l’expérience, on dessine un moins grand nombre de fois.
Attendez, je sais pas dessiner !
L’objet de cet article n’est pas d’apprendre les techniques de dessin – comment faire des traits, des courbes, représenter des végétaux, planifier les ombrages, etc. Si vous ne « savez pas dessiner », ce n’est pas insurmontable d’apprendre « sur le tas ». Rassemblez tous les outils que vous avez à disposition, et travaillez avec un maximum d’entre-eux. Évitez quand même le stylo bic, parce que ça marche mal sur le calque 😉
Quelques stylos, des crayons, des feutres, des crayons de couleur et une règle peuvent faire l’affaire. Quand vous représentez différents éléments – par exemple une allée par rapport à des plantations – changez de technique de représentation. Utilisez par exemples des hachures, des crayonnés, des aplats de couleur, soyez imaginatifs, faites-vous plaisir.
Pour inspiration, regardez les plans de Roberto Burle Marx, très grand architecte Brésilien – auteur du Boulevard le long de la plage de Copacabana. On n’est pas obligé de se limiter à des petits stylos fins et des traits noirs, hein.
1. Etape 1: mesurez tout !
C’est une étape un peu pénible, mais pas moyen de passer outre. Il faut mesurer tous les élément importants, et les distances qui les séparent. Faites un petit croquis du plan sur un carnet, et reportez les cotes dessus au fur et à mesure que vous les prenez.
Voilà un de mes relevés de terrain – j’avais juste besoin de situer un amphithéatre dans une grande pelouse. Ne vous compliquez pas la vie pour le croquis, il faut juste pouvoir vous y retrouver ensuite et reporter les cotes sur un vrai plan. Alors ne représentez que ce qui vous sert de point de repère.
1. Etape 2: reportez l’existant sur un fond de plan.
Vous pouvez récupérer un fond de plan en photo aérienne, sur google maps, mais aussi sur géoportail, où il y a d’avantage d’informations disponibles ,- comme les limites cadastrales, et des échelles plus rigoureuses. Ensuite, imprimez-ce plan à la bonne échelle, avec éventuellement des zooms sur certaines zones clé. Pour un jardin, travaillez à des échelles situées entre 1/10 et 1/20 pour les détails techniques, et 1/100 voire 1/200 pour le plan et les coupes de l’ensemble des espaces. Il est essentiel de travailler à des échelles qui correspondent à des chiffres ronds, sinon on s’arrache les cheveux à faire les conversions.
Voilà ce que vous pouvez récupérer via géoportail. Vous pouvez personnaliser l’échelle en cliquant dessus, c’est bien pratique. Il existe aussi de nombreuses couches affichables. Là j’ai utilisé la photo aérienne avec les limites cadastrales.
Super important : prenez un fond de plan bien plus large que votre terrain, ne vous arrêtez pas juste à ses limites. Qui sait, vous aurez peut être besoin de savoir où est le garage du voisin pour placer un arbuste.
Super important aussi : indiquez l’orientation – une flèche vers le Nord – et l’échelle – un trait – représentant 1 ou 10 m fait l’affaire.
Ensuite, ajoutez sur le plan tout ce que vous allez garder de l’existant, en utilisant un calque pour dessiner par dessus. Si vous savez dessiner avec des logiciels de dessin, c’est le même principe. Travaillez sur des calques séparés, personnellement je refais plusieurs fois le dessin. Je ne change pas tout à chaque fois, sinon le projet ne « progresse » pas, je garde ce qui parait bon et je ne me concentre que sur les éléments qui ne me conviennent pas.
Si vous n’êtes pas à l’aise avec le dessin, faites une maquette avec les moyens du bords ! On fait des merveilles avec du carton plume, des épingles et du papier chiffonné, voire avec de l’argile dans le cas d’un terrain très escarpé.
1. Etape 3: faites une ou plusieurs coupes de l’existant.
La coupe est un outil formidable ! Elle permet de s’immerger dans le Lieu. Contrairement au plan qui figure ce qu’un oiseau verrait en passant au dessus de chez vous, la coupe montre le rapport du corps aux espaces. Il suffit de figurer un personnage à taille réelle dessus, et on voit si un pente est douce ou forte, si un muret est au niveau du genou ou de la taille, si un arbuste domine le passant, etc. La coupe montre les usages.
La difficulté avec les coupes est de bien les placer : dans le doute faites-en deux en plein milieu du jardin, perpendiculaires l’une par rapport à l’autre.
Bon, vous l’avez dessinée : maintenant qu’en faire ? C’est facile, le principe est de comparer les verticales et les horizontales, donc les « vides » et les « pleins« . On compare par exemple la hauteur d’une façade et la largeur de la terrasse, la hauteur des arbres par rapport à la largeur de la pelouse, la largeur d’une allée par rapport à la haie qu’elle longe.
Ce qui est super, c’est qu’avec votre coupe vous pouvez aussi évaluer comment l’espace va évoluer : comment seront mes espaces juste après la plantation des arbres, par rapport à dix ou vingt ans plus tard.
Voici une coupe élévation d’existant. Lors de sa réalisation, il est intéressant de représenter arbres et arbustes à leur taille adulte. Dans ce cas précis la coupe m’a servi à distinguer des espaces de passage à épargner en cas de nouvelles plantations.
1. Etape 4 : et voilà, vous êtes le Maître du Monde !!!!
Enfin, presque.
Vous êtes maintenant prêt à travailler. Commencez par travailler à l’échelle la plus large possible, et avec des crayons peu précis. C’est très sérieux : tout est susceptible de bouger, donc il faut des outils qui permettent de travailler rapidement, sans aucun détail.
Ce qu’on recherche pendant cette première étape de conception, c’est placer des principes spatialement. « Ici je ne touche à rien parce que j’aime la prairie, dans ce coin j’aimerais un espace très aménagé parce que c’est un endroit où je me sens bien, à cet endroit je ne sais pas ce que je veux faire, mais j’aime bien la lumière le matin, etc. »
En dessinant, progressivement vont se fixer les intentions fortes du projet.
Ce n’est pas une recette de cuisine. Personnellement, j’avance un peu à l’instinct. « Ah, hé bien là, cette pente générale m’incite à dessiner des terrasses fines, je vais prendre cette contrainte et la transformer en force. Le projet général va cette fois devenir une succession de terrasses clairement délimitées, qui mettront en scène les usages que j’avais définis à l’avance. » Dans un autre cas : « Je travaille sur un endroit où les plantations sont toutes éparpillées, isolées et sans cohérence, je vais accepter cet état de fait, et les inscrire dans un projet global d’archipels végétaux. »
Travailler à plusieurs échelles
Au départ, le principe de gestion des échelles de projet est de commencer par travailler large pour définir les grandes lignes, puis de cadrer de plus en plus serré pour définir les détails. On « descend dans les échelles« . Mais attention, il faut régulièrement revenir en arrière, à l’échelle large, pour vérifier si les solutions trouvées à échelle serrée entrent dans la logique du projet. Ces aller-retours sont très importants pour conserver une cohérence, et ne pas se laisser embarquer à dessiner une succession de résolution de problèmes ponctuels qui contrediraient l’intention principale.
Gardez en permanence à l’esprit vos intentions de projet, et orientez vos choix en fonction de celles-ci.
Prenons un exemple : je veux créer un « jardin marécageux », traversé par deux passerelles alignées. La force plastique du projet est de souligner le contraste entre une succession de mares aux contours irréguliers, par le tracé extrêmement rectiligne du cheminement. J’ai déjà dessiné une esquisse du plan masse, qui place approximativement l’axe de mes passerelles.
Je commence à regarder mon projet au 1/100°, et là je rencontre à deux mètres du tracé prévu un superbe îlot – que je n’avais pas vu sur mon plan masse au 1/500. C’est un espace bien agréable, qui offrirait une pause au soleil. Que faire ? Je ne touche pas à mon axe, je fais faire un petit virage à mon cheminement pour qu’il arrive sur l’îlot, et je le masque « habilement » derrière un « petit buisson » pour qu’on ne le voie qu’au dernier moment, hmmm ? Nooooon. Ce serait une résolution à la mauvaise échelle.
Je suis obligé de revenir à mon plan d’ensemble pour décider s’il faut le modifier, et je dessine deux hypothèses dessus. Soit je translate l’ensemble de mon tracé, ce qui déplace potentiellement son point de départ et son point d’arrivée, mais ça vaut le coup. Soit je laisse le joli îlot inaccessible, parce qu’il est bien joli, et que le raccorder ne va pas dans le sens du projet. En tout cas, je suis à la bonne échelle pour décider.
En conclusion
Cet article vous a décrit brièvement le « comment dessiner », et les principes méthodologiques de base du dessin de projet. Pour les prochains articles nous allons entrer dans le vif du sujet, et vous donner les bases pour comprendre les principes qui guident le choix et le emplacement des plantations, des allées, des limites, aussi quelques trucs pour « penser en volume et dans le temps ».