
Désherber au jardin naturel
Et le jardinier, sûr de son bon droit d’éradicateur, s’élance au jardin ratissoir ou binette à la main, pour désherber – ou comme il le dit souvent – « enlever les mauvaises herbes« … Est-ce ainsi que nous devons encore procéder, vraiment?
« Dans le jardin de mon enfance, il fallait se plier aux règles : suivre sans discussions les ordres commerciaux. Nous devions enfumer, pulvériser, brûler, désherber, traiter de toutes les manières la nature rebelle, désastreusement inventive. »
Gilles Clément, dans La sagesse du Jardinier, éditions JC Béhar.
Passons tout de suite rapidement sur le débat lexical qui fait s’affronter anciens et modernes, jardiniers plus ou moins traditionnels – qui voudraient les uns continuer à appeler mauvaises herbes celles qui les dérangent, les autres à ce qu’on les nomme adventices – littéralement, celles qui adviennent (alors qu’on leur a rien demandé, en l’espèce). Evidemment qu’il est plus courtois – voire respectueux ! – de leur donner ce joli nom, mais vous conviendrez que si c’est pour ensuite les zigouiller sans états d’âme, la courtoisie ne rapporte pas grand chose à la plante en question (qui n’a rien demandé non plus, il faut bien le dire).
(Pour la suite de cet article, nous utiliserons une troisième terminologie si vous le voulez bien, qui dit bien le caractère non cultivé de ces sujets : plantes sauvages. Et nous apprendrons que si elles adviennent, c’est qu’il y a une raison, car les plantes savent tout du sol qu’elles occupent, et poussent là où elles se sentent bien.)
Le désherbage et le travail du sol sont donc aussi vieux que le jardinage, et semblent ancrés dans la mémoire collective des jardiniers. Et c’est à raison, car les semences sélectionnées depuis des siècles pour leur graines hypertrophiées ont perdu une bonne part de leurs capacités de survie.
En clair, entre une carotte sauvage qui pousse au milieu d’une prairie dense et une carotte cultivée qui peine à germer dans un potager « nettoyé », la vitesse d’enracinement et la capacité à résister aux agressions n’est plus comparable.
Disons le clairement, les jardiniers ont trop privilégié le critère de la productivité – et surtout durant la période récente du XX° siècle – au détriment de celui de la résistance. A long terme, ça oblige à augmenter son niveau de contrôle du milieu, d’où les dérives vers les pesticides, les engrais, les labours profonds….
Si vous nous lisez régulièrement, vous savez que nous privilégions une approche douce, respectueuse du sol – qui comprend plusieurs choses : ne pas labourer, pailler abondamment, et n’éradiquer personne. Cela dit, approche douce ne veut pas dire « ne rien faire« !
Quel est le concept derrière le désherbage ?
Le désherbage part du postulat général que les plantes sont en concurrence.
Pourtant les plantes n’ont pas que des rapports de concurrence, loin de là. Certaines sont bénéfiques les unes envers les autres – cela s’appelle l’allélopathie. Ainsi beaucoup de plantes – comme le trèfle qui fixe l’azote de l’air – peuvent largement améliorer le sol, et donc rendre par ricochet la vie plus facile aux plantes qui les entourent !
La notion même de mettre ses cultures à distance car « elles risquent de se concurrencer » part d’un postulat bancal. Pourquoi ? Parce que les racines fertilisent autant les sols, qu’elles y puisent des nutriments. Elles servent notamment de support à des millions de micro-organismes qui digèrent la matière organique et la rendent consommable par les plantes. Elles permettent aussi les échanges verticaux entre les couches profondes et les couches superficielles du sol. Elles permettent à l’eau de couler en profondeur. Donc le système de « table rase » – si typique de nos potagers – se prive de ces apports en tentant de les remplacer par des engrais d’origine organique ou minérale.
En jardinage traditionnel, quand on « nettoie » toute une surface – en coupant par la même les mécanismes de la digestion des matières organiques par le sol – et qu’on tente de nourrir avec juste des engrais les plantes qui s’y installent, les ressources s’épuisent vite et deviennent limitées. Et ce n’est pas en laissant quelques semaines nos racines de légumes cultivés épars qu’on obtient la même fertilité du sol qu’avec une forêt ou une prairie.
A vrai dire, même le paillage en permanence ou les buttes de permaculture ne sont que des tentatives incomplètes pour maintenir la fertilité, car il leur manque les échanges profonds qu’effectuent les racines des espèces vivaces, et il faut régulièrement recourir à l’import de matière. En effet, les racines des espèces « adventives » ont une capacité à aller puiser des ressources minérales en profondeur dont ne bénéficient pas la plupart des annuelles que nous consommons. Et lesdites ressources minérales participent largement aux notions de goût liées aux terroirs.
Faut-il donc s’obstiner à simuler l’action des plantes et de leur milieu sur le sol de manière artificielle ou peut-on s’y glisser pour cultiver ?
C’est l’idée de la culture permanente, où ce qui est recherché n’est pas d’avoir un paillage en permanence durant des années, mais d’occuper à terme tout l’espace par la végétation. S’il n’existe plus d’intervalle entre mes plantes, il ne reste plus d’espace pour les « opportunistes ». Bon, revenons à nos moutons…Mais au fait…
Pourquoi désherbe -t- on ?
Le désherbage poursuit deux buts dissociés :
Améliorer la production
Nous cherchons à éliminer les plantes sauvages – entendons nous donc sur ce terme ! – qui entrent en concurrence avec nos cultures. Ca parait raisonnable : que celui qui pense qu’on peut facilement jeter des graines de légumes à la volée au milieu d’une pelouse nous envoie un mail, avec ses résultats de culture.
La sélection opérée sur nos plantes a abouti a des légumes plus productifs, mais aussi plus faibles face à la concurrence, pour l’eau, les nutriments, ou contre les éléments : en somme, ils sont moins rustiques – et ce caractère de faible rusticité explique assez pourquoi nous devons nous résoudre à les aider, en luttant contre l’adversité qu’elle ne savent plus combattre.
Améliorer l’aspect esthétique
Des allées bien nettes, une pelouse comme un billard, des parterres au cordeau : le fantasme de l’homme (et de la femme, n’excluons personne!) qui soumet la nature à son bon vouloir jusque dans ses moindres détails trouve sa source dans l’histoire de l’humanité, probablement, qui longtemps lutta pour sa survie contre tout le reste – animaux et éléments – en risquant sa peau à chaque instant, y compris en mastiquant la moindre feuille. Aujourd’hui, la vapeur s’est inversée, et c’est plutôt la nature qui aurait raison de se méfier de nous. Il serait temps de réviser nos jugements et d’accepter, en vrac, pelouse moins nette (et moins de surface !), allées couvertes d’herbes folles, et parterres dont on laisse volontiers une partie conséquente libre et sans intervention – « où la main de l’homme ne met pas le pied », pour reprendre l’expression du maire de Champignac.
Moins désherber, en ayant moins besoin de le faire au jardin
Avant de se mettre à désherber, on peut développer des stratégies pour avoir moins besoin de s’y coller, parmi lesquelles :
- Doit-on le dire encore? Paillez et couvrez votre sol : le paillage limite la germination des plantes sauvages.
- Cultivez des plantes pérennes : rhubarbe, artichaut, oseille, poireaux perpétuels sont autant de plantes productives qui repoussent chaque année sans qu’on ait à les semer à nouveau. Et qui dit sans semis dit aucune nécessité de découvrir le paillis !
- Connaissez ces plantes, et utilisez leurs vertus ! Certaines plantes sauvages sont tout à fait comestibles, telles que le pissenlit, dont les jeunes pousses sont formidables en salade. Il y en a tant d’autres…
Récoltez le pissenlit jeune, bien avant qu’il ne fasse des boutons ! Image Kai :bln
Et au potager?
Pour la raison évoquée plus haut, là où l’on choisit de cultiver des carottes, le désherbage devient difficile à éviter ! La plupart des légumes du potagers ont besoin d’être désherbés, au moins à l’état de jeunes plants.
Certaines plantes peuvent être semées ou repiqués directement à travers le paillis – voir la technique du semis direct.
Remarque importante ! La première qualité d’un jardinier, c’est la patience et la capacité d’observation ! Ce qui marche chez le voisin ne fonctionnera pas forcément chez vous, tellement de facteurs sont en jeu qu’il n’y a pas de remèdes miracles ! Essayez, testez, faites vous votre propre idée.
Ainsi, autour de certaines plantes, des plantes sauvages compagnes, peuvent avoir une action bénéfique : la culture de la laitue par exemple – qui réclame une exposition plutôt ombragée – semble capable de se passer de désherbage ! Il m’est arrivé d' »oublier » quelques laitues sous les hautes herbes pendant quelques semaines : pas d’arrosage, bien protégées du soleil de l’Ardèche, les laitues étaient à l’arrivée magnifiques, et sans une trace de limace !
Et là où il le faut, hé bien, quelques règles simples :
- Pour désherber efficacement, il faut s’y prendre dès que c’est nécessaire ! En effet de jeunes plantules seront détruites par le moindre coup de binette, mais elles deviendront beaucoup plus résistantes chaque jour qui passe ! Il faudra y revenir régulièrement et inspecter rapidement la planche de culture : au bout d’un moment, cela devient un réflexe !
- Un bon désherbage est radical : ne faites pas les choses à moitié !Si vous enlevez une partie des sauvages, vous laissez d’autant la place aux autres de se développer, alors que ce que vous voulez, c’est laisser la place à vos carottes ! Paillez ensuite dans tous les cas, pour éviter de laisser un sol à nu, propice à la germination d’autres sauvages…
- Attention, certaines plantes meurent simplement si on les coupe, comme le mouron, tandis que d’autres repartiront de plus belle grâce aux réserves qu’elles conservent dans leur racines : c’est le cas des orties et du pissenlit. Coupez les premières en laissant les racines, qui en se dégradant amélioreront le sol. Creusez pour les autres, de façon à extraire leurs racines pour éviter la repousse.
Ainsi, le désherbage, circonscrit à sa portion congrue, devient moins difficile, moins obsédant. Le potager reste sous l’attention jalouse de son jardinier, mais le reste de l’espace est libre et la biodiversité s’y développe, accueillant plus facilement carabes, insectes pollinisateurs et autres alliés du jardinier!
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Image d’en tête : Matthew Peoples
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