
L’hôtel à insectes, la fausse bonne idée
Et voilà. Quelques bûches dans les hautes herbes. C’est tout. Votre hôtel à insectes est prêt, vous pouvez retourner à d’autres occupations !
Bon, blague à part, si vous pensiez trouver ici un article pour vous expliquer comment réaliser vous-même un hotel à insectes comme on en trouve un peu partout, je préfère vous le dire tout de suite, ça ne va pas être le sujet de cet article, finalement… Pourquoi ? D’abord, et de un, il y en a précisément partout ailleurs (par exemple : ici ), donc ça n’aurait aucun sens de rajouter le nôtre à la multitude, et de 2, surtout, on a un truc à vous dire. Ne partez pas tout de suite !
Comment ça, Groww, tu n’aimes pas les hôtels à insectes ?
Comprenons nous bien : les hôtels à insectes, c’est cool. Bien conçus, ils peuvent héberger de très nombreuses variétés d’insectes xylophages, pollinisateurs, carabes, tous alliés du jardinier. L’engouement d’un public large pour la préservation des espèces ne peut que nous réjouir, très franchement : si la construction d’un hôtel à insectes, en particulier avec des enfants, peut contribuer à éveiller les esprits à l’intérêt, que dis-je – à la nécessité de protéger et d’augmenter la biodiversité, on applaudit des deux mains.
Mais – car il y a un mais.
La biodiversité a fui de nos jardins, parce que nous ne lui rendons pas la vie facile. A force de vouloir forger une nature à notre goût : une pelouse bien tondue, des haies d’une seule espèce, pas toujours indigène, des plates-bandes bien dessinées, souvent désherbées – quand ce n’est pas au roundup ! -, des essences limitées, les mêmes d’ailleurs, de jardin en jardin, et surtout, peu d’espaces de ce que Gilles Clément nomme le Tiers-paysage. Nous avons tout bonnement exclu de nos jardins amoureusement entretenus la cohorte des insectes, parfois mollement désirés, parfois franchement indésirables – pucerons, limaces, xylophages et coprophages – dont on mesure aujourd’hui l’absolue nécessité.
Tiers-paysage, vous avez dit ?
Le Tiers-Paysage – fragment indécidé du Jardin Planétaire – désigne la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Il concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, etc … A l’ensemble des délaissés viennent s’ajouter les territoires en réserve. Réserves de fait : lieux inaccessibles , sommets de montagne, lieux incultes, déserts ; réserves institutionnelles : parcs nationaux, parcs régionaux, « réserves naturelles ». (…) Le nombre d’espèces recensées dans un champ, une culture ou une forêt gérée est faible en comparaison du nombre recensé dans un délaissé qui leur est attenant.
Répétons pour bien s’imprégner du sens de cette dernière phrase. Le nombre d’espèces recensées dans un champ, une culture ou une forêt gérée est faible en comparaison du nombre recensé dans un délaissé qui leur est attenant.
Dans cette perspective, on comprendra que poser un joli hôtel à insectes dans le coin d’une pelouse de ray-grass trop courte sans changer aucunement sa manière de concevoir le jardinage en croyant régler d’un joli trait le problème de la biodiversité, c’est un peu comme de vouloir grimper l’Everest en tongs.
L’hôtel à insectes ne serait-il pas encore une façon de contenir la nature plutôt que de réellement l’accueillir ? Considérons un instant comment ces hôtels à insectes sont conçus, en remarquant à quel point ceux-ci sont construits au moins autant sinon plus pour le plaisir de l’oeil humain (toit à la façon d’un chalet à Méribel, belles cases bien ordonnées…) que pour l’intérêt des différentes espèces qui sont sensées y trouver refuge. La nature, rappelons le, se contrefout de l’esthétique – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas admirable, loin de là – et le beau qu’elle fabrique a toujours une fonction : la fleur se pare de couleurs magnifiques pour attirer l’oeil de l’insecte pollinisateur, pas celui du fleuriste.
Alors, anthropomorphe, l’hotel à insectes? Et bien, enfonçons le clou : pas seulement. Il représente aussi à nos yeux une vision quelque peu anthropocentrée du jardin. L’homme – entendons ici le jardinier – est au centre du jardin et de la nature, et jouissant de son bon droit de grand ordonnateur de l’espace, il décide, qui a le droit de cité, et ici, ou là. « Je veux bien vous voir revenir dans mon jardin », semble dire le jardinier plein de bonne volonté, « car j’ai compris votre utilité. Voilà, veuillez signer le bail en 3 exemplaires pour votre case, 3ème gauche. »
A bien y réfléchir, considérer que les insectes doivent être là (où j’ai décidé qu’ils iraient, coûte que coûte) et pas forcément ailleurs (pas sur mes laitues nom de nom !), c’est peut-être déjà trop vouloir l’asservir, en particulier si l’on ne change rien au reste de notre jardin – pelouse comme un billard avec une haie de thuyas autour.
Plutôt que de construire ces hôtels, nous ferions peut-être mieux de laisser un peu de tiers-paysage dans nos jardins. Un espace, si petit soit-il, ou la nature pourrait s’installer, sans craindre d’être tondue ou taillée ou pulvérisée, où vous ne mettriez pas les pieds, ou presque pas. Quelques bûches au milieu des hautes herbes suffiraient, si vous acceptiez de les y laisser pourrir…
Le mot jardin vient du bas francique gart ou gardo, en germanique, garten, qui signifie enclos. Réservons donc dans nos jardins un enclos préservé où la nature trouve son compte. Êtes vous prêts à laisser, disons, ne serait ce que 10% de votre jardin en friche?
Et Groww au fait, c’est quoi ?
Nous aimons la biodiversité, mais aussi la technologie ! Nous avons créé Groww, à la fois site et application de jardinage, gratuite, qui vous aide à savoir quoi faire, quand, et comment au jardin en fonction de vos plantes, de votre localisation géographique, du temps qu’il fait… Groww est disponible pour Iphone et Ipad ici et pour android là.
Image d’en tête : annagoben